Portée de la liberté d’association au Québec

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Le 2 avril 2004, le magasin Wal-Mart de Jonquière devient le premier établissement de cette multinationale à se syndiquer en Amérique du Nord. Moins d’un an plus tard, le 9 février 2005, la compagnie Wal-Mart annonce la fermeture de son magasin de Jonquière, le jour même où le ministre du Travail nommait un arbitre en vertu du Code du travail pour fixer la première convention collective. Certains des ex-employés du magasin de Jonquière décident alors de porter plainte à la Commission des relations de travail en vertu des articles 15 à 17 du Code du travail du Québec (L.R.Q. ch. C-27), arguant la prise de mesures illégales par Wal-Mart en représailles à l’exercice d’activités syndicales. En compensation, les salariés demandent d’être réintégrés dans leurs emplois.

Dans une décision rendue le 27 novembre 2009 (Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada inc. (2009) CSC 54), la majorité de la Cour suprême du Canada rejette le pourvoi des employés en soutenant qu’une ordonnance de réintégration doit impérativement «s’appuyer sur l’existence d’un lieu de travail encore en activité» (para.4). Selon la Cour suprême, il est inapproprié de chercher à être réintégré dans son emploi suite à la fermeture d’un magasin et ce, même si la décision de fermeture est mue par des motifs antisyndicaux ou d’autres «motifs condamnables socialement» (A.I.E.S.T. local de scène no 56 c. Société de la Place des Arts de Montréal (2004) csc 2, au para. 28). Au Québec donc, la fermeture réelle et définitive d’un établissement constitue une défense complète empêchant les employés de demander une réintégration ou carrément de se prévaloir des articles 15 à 17 du Code.

Cette décision soulève certaines questions concernant la portée de la liberté d’association au Québec, pourtant protégée à l’article 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. En effet, comme le souligne la dissidence dans l’arrêt Plourde, «la fermeture non seulement punit les salariés qui tentent de se syndiquer, mais transmet aussi un message général selon lequel la syndicalisation expose tous les salariés de ce lieu de travail au risque de perdre leur emploi» (para. 111). Dans cette veine, la décision de la Cour suprême, en privilégiant une interprétation restrictive de liberté d’association, lance également un message général aux employeurs : il est acceptable au Québec de fermer un établissement pour éviter de devoir négocier avec un syndicat. Cela tranche nettement avec un courant jurisprudentiel récent qui ouvrait pourtant la porte à une interprétation plus large de la liberté d’association à travers tout le Canada et introduit un décalage évident avec le régime prévalant dans les autres provinces canadiennes.

Philippe-Antoine Couture-Ménard, DESS Common Law, Faculté de droit, Université de Montréal
Emmanuelle Paquette-Bélanger, maîtrise, Faculté de droit, Université de Montréal