Protection de la vie privée dans le contexte des plateformes en ligne : les limites des fiducies de données et du devoir fiduciaire de loyauté

1 Université Laval. Candidate à la maîtrise, Faculté de droit

2 Barreau de Dinant. Avocate stagiaire, Belgique

3 Juriste, Paris

Résumé

Les lois de protection des renseignements personnels se sont traditionnellement ancrées dans une perspective individualiste de la vie privée dont la pierre angulaire est le mécanisme du consentement individuel. Face aux géants du web, dont le modèle d’affaires repose sur l’analyse de données personnelles, cette perspective paraît inadaptée : elle tient insuffisamment compte des asymétries de pouvoir et d’information en présence et suppose à tort la vie privée comme une question de nature individuelle en omettant ses implications collectives. Elle peine ainsi à protéger adéquatement les personnes et facilite de ce fait la survenance d’effets individuels et sociétaux préjudiciables. Cet article rappelle d’abord les principales limites de la conception individualiste de protection de la vie privée – le modèle du notice and choice, ou notice and consent – au regard des pratiques des plateformes en ligne. Sont ensuite envisagées, dans une perspective critique, deux pistes de solution juridiques issues d’une conception collective de la vie privée : les fiducies de données et leur appréhension par le droit commun québécois, suivies des obligations fiduciaires de common law, et plus particulièrement le devoir fiduciaire de loyauté. Si ces pistes de solution semblent prometteuses à plusieurs égards, elles présentent toutes deux des limites importantes qui rendent difficilement concevable leur implémentation. D’une part, les fiducies de données, reposant sur le choix individuel de confier ses renseignements personnels à un acteur externe, reproduisent les difficultés liées au mécanisme de consentement individuel du modèle classique de notice and choice. Leur mise en oeuvre effective requiert également l’intérêt, la compréhension et la confiance des personnes dans le mécanisme, des garanties loin d’être acquises. D’autre part, l’imposition d’un devoir de loyauté obligerait les plateformes à modifier en profondeur leurs pratiques commerciales actuelles, des changements qui ne s’imposeraient pas sans résistance. Le droit à la vie privée, tant dans sa conception individuelle que collective, ne suffit pas à protéger adéquatement les personnes dans l’environnement numérique. D’autres domaines de régulation doivent être appelés à intervenir.

Mots-clés

Citation recommandée

Michelle Albert-Rochette, Clara Lavis & Mathilde Meunier, « Protection de la vie privée dans le contexte des plateformes en ligne : les limites des fiducies de données et du devoir fiduciaire de loyauté », Lex Electronica, (2023) 28-1, 23-55. En ligne : https://www.lex-electronica.org/s/2793.
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